VINGTIÈME CONGRÈS DU PARTI COMMUNISTE DE L’U.R.S.S.

VINGTIÈME CONGRÈS DU PARTI COMMUNISTE DE L’U.R.S.S.
VINGTIÈME CONGRÈS DU PARTI COMMUNISTE DE L’U.R.S.S.

VINGTIÈME CONGRÈS DU PARTI COMMUNISTE DE L’U.R.S.S. (1956)

Ouvert le 14 février 1956, au Grand Palais du Kremlin, le XXe congrès du Parti communiste de l’U.R.S.S. réunit 1 355 délégués avec voix délibératrice et 81 délégués avec voix consultative, représentant 7 211 505 membres et candidats du parti. Les délégations de cinquante-cinq partis communistes et ouvriers assistaient aux délibérations. À la tribune d’honneur des invités avaient pris place les représentants des partis au pouvoir et ceux des grands partis communistes des pays capitalistes: Zhu De, Bierut, Novotny et Zápotocky, Ulbricht et Grotewohl, Rakosi, Georghiu Dej, Tchervenkov, Hodja, Tsoi En Chen, Truong Ching et Lê Duc Tho, Thorez, Togliatti, Ibarruri. Congrès à deux faces, l’une interne (le rapport «secret» de N. Khrouchtchev), l’autre externe (les rapports officiels sur l’activité du P.C.U.S., sur l’économie nationale et sur les relations internationales), et dont l’importance réside dans la corrélation entre ces deux types de discours. Cette corrélation déterminera une nouvelle ordonnance des relations à l’intérieur du monde communiste et consacrera, à l’extérieur, la nouvelle politique de l’Union soviétique, la coexistence pacifique avec le monde capitaliste.

Le rapport «secret» se centrait sur la condamnation du «culte de la personnalité de Staline... étranger au marxisme-léninisme». Ce culte était interprété comme la cause du despotisme de Staline, de son comportement arbitraire qui, par voie de conséquence, laissait libre cours à la violation de la légalité révolutionnaire. L’activité de Staline, considérée comme positive dans les années vingt et au début des années trente, puisqu’elle avait contribué à l’élimination des trotskistes, zinoviévistes et boukhariniens et ouvert le chemin de l’industrialisation et de la collectivisation des terres, avait dégénéré, après le XVIe congrès (1934) et l’assassinat de Kirov, en un «culte de la personnalité». Staline était tenu responsable de la violation du principe léniniste de la direction collégiale, de la falsification des procès politiques, de la liquidation physique des vieux bolcheviks et de la presque totalité des officiers supérieurs de l’Armée rouge, des premières défaites de cette armée au moment de l’attaque allemande, de la déportation de peuples entiers (Kalmouks, Tchétchènes, Ingouches, etc.), de la condamnation à mort de plusieurs dirigeants soviétiques après 1945, et de plusieurs autres crimes. À l’ombre de ce pouvoir illimité de Staline, la «bande de Beria» (ministre de l’Intérieur), «agent de l’impérialisme», violait impunément la légalité socialiste. Par conséquent, «... la direction telle qu’elle était pratiquée durant les dernières années de Staline était devenue un obstacle sérieux au développement social de l’Union soviétique».

Le rapport officiel de Khrouchtchev, par contre, ne faisait aucune allusion directe au «culte de la personnalité» de Staline, ni ne mentionnait les violations de la légalité soviétique. Il contenait les grandes lignes du «cours nouveau» de la politique du Parti communiste et de l’État soviétique. En politique extérieure, par la coexistence pacifique, l’Union soviétique s’engageait dans «une politique active d’amélioration des relations avec les États-Unis et les pays capitalistes occidentaux». Bien que le système capitaliste fût en crise, le rapport constatait que la production industrielle des pays capitalistes se développait et que d’importants progrès techniques étaient réalisés dans tous les domaines. Par conséquent, l’Union soviétique trouvait son intérêt à nouer des relations commerciales, «profitables pour les deux parties», avec ces pays. La coexistence pacifique passait aussi par l’établissement de bons rapports avec les «États pacifiques» d’Asie et du Proche-Orient, et par la coopération avec la social-démocratie. Le P.C.U.S. reconnaissait que «les différentes voies nationales vers le socialisme» étaient une réalité du monde actuel. En politique intérieure, le P.C.U.S., en rétablissant le principe de la «direction collégiale», renforçait son rôle dirigeant dans l’État soviétique, et se donnait pour tâche de perfectionner l’appareil d’État. Dans le domaine économique, la priorité était conservée au développement quantitatif de l’industrie et de l’agriculture, l’effort préconisé devant porter sur la modernisation des technologies.

Le rapport «secret» de Khrouchtchev ne fut jamais publié en U.R.S.S. et dans les pays socialistes, ni même repris dans la presse communiste des pays capitalistes. Néanmoins, dans un laps de temps très court, les principales critiques contre Staline furent connues du public soviétique et des pays de l’Est, et préparèrent ainsi progressivement l’opinion aux révélations du XXIIe congrès (1961) sur les crimes de Staline. Une des conséquences directes du XXe congrès fut la libération de millions de prisonniers des camps de concentration, amorcée d’ailleurs depuis 1953, et la réhabilitation politique et civique de milliers de personnes. Mais, en 1956, pour la direction du P.C.U.S., il était avant tout urgent de préparer psychologiquement et idéologiquement les cadres du parti et de l’État au tournant qu’allait prendre la politique soviétique après le XXe congrès. Et c’est en levant cet «obstacle sérieux» du culte de la personnalité de Staline que le parti pouvait réaliser les tâches fixées dans les rapports officiels. L’un n’allait pas sans l’autre pour débloquer la société soviétique sans trop la perturber, et en même temps l’ouvrir lentement et prudemment au monde extérieur.

La répression policière, l’étouffante bureaucratie de l’État et du parti, la régression scientifique à la suite d’interdits idéologiques, la stagnation économique, le manque d’initiative des cadres, l’apathie des populations que masquait une propagande effrénée sur la puissance de l’U.R.S.S. et la déification de Staline, avaient figé le pays dans un immobilisme dangereux quant à son avenir. L’État soviétique et le parti, en fait, ne possédaient ni les moyens économiques pour mener une politique extérieure dynamique, ni les moyens politiques pour donner un essor rapide à l’économie et élever le niveau de vie des citoyens. De surcroît, l’écart économique entre l’U.R.S.S. et les pays capitalistes s’accroissait dangereusement, avec toutes les conséquences pour la force militaire de l’Union soviétique. Pour pouvoir tenir son rôle de grande puissance, l’U.R.S.S. devait se doter rapidement de nouveaux moyens économico-politiques en accédant à la civilisation technologique, accès qui présupposait l’élimination de certains dogmes idéologiques et n’était pas sans danger pour un système politique reposant sur le primat de l’idéologie.

En outre, la mort de Staline (mars 1953), avait posé aux dirigeants soviétiques un double problème: surmonter rapidement le vide psychologique créé par cette disparition, vide d’autant plus dangereux pour la stabilité de l’Union soviétique que le «culte de la personnalité» de Staline était le ciment de la cohésion multinationale de ce pays, le symbole de la légitimité du pouvoir; se doter d’une nouvelle légitimité qui soit simultanément continuité et discontinuité avec le passé, sans pour autant remettre en cause la nature et le fonctionnement du pouvoir. Telle était d’ailleurs la préoccupation majeure des partis au pouvoir et même des grands partis communistes des pays capitalistes après la disparition de leurs chefs, déifiés eux aussi par le «culte de la personnalité» (Gottwald, Dimitrov, Beirut, Georghiu Dej, Thorez, etc.).

C’est dans cette étroite marge de manœuvre que se situe la logique du XXe congrès: la critique du «culte de la personnalité» était une initiative politique des dirigeants du P.C.U.S., dictée par les nécessités politico-économiques du moment, contrôlée et limitée par la direction du parti, et excluant toute participation des membres du parti à la critique de la période stalinienne. Le «culte de la personnalité» était présenté comme un excès, un accident, somme toute mineur, qui n’avait pas profondément atteint le corps sain du système soviétique; il suffisait de le condamner pour l’extirper, et revenir ainsi à la normalité. Cette normalité était le léninisme qu’on dotait d’une double fonction politico-idéologique: garantir la légitimité du pouvoir de la nouvelle équipe dirigeante de l’U.R.S.S. et assurer ainsi la continuité historique du système soviétique; représenter la référence idéologique, en remplissant le vide créé par la destruction de la référence à Staline, et marquer la discontinuité avec la période du «culte de la personnalité». En considérant le «culte de la personnalité» comme un épiphénomène, en instrumentalisant la critique de ce culte à des fins politiques conjoncturelles, le XXe congrès (ainsi que son prolongement, le XXIIe congrès) évita certes une profonde crise politique en Union soviétique, mais ne fournit aucune réponse quant aux causes historiques, politiques, économiques, sociologiques du stalinisme. Cependant, le XXe congrès déclencha un long processus de remise en cause du fonctionnement du système politico-économique tel qu’il existe en U.R.S.S. et dans les pays de l’Est et ouvrit la voie à d’autres conceptions du socialisme.

Le monocentrisme, en tant que système politique, s’était établi sur l’identification totale de tous les éléments qui le composent (partis communistes au pouvoir, partis communistes des pays capitalistes) à un modèle idéologique, à un modèle de pouvoir, et à un modèle économique, émanant d’un centre (le P.C.U.S. et l’État soviétique). Ces trois piliers interdépendants du monocentrisme lui donnaient sa solidité et sa cohésion interne: dans le cadre de ce système s’ordonnaient les rapports entre l’Union soviétique et les pays socialistes, entre l’Union soviétique et les partis communistes des pays capitalistes. Ce niveau premier (central) des rapports déterminait à son tour les relations des partis communistes entre eux, fixait les marges de leurs actions respectives, et éliminait radicalement toute déviation potentielle ou effective d’un de ces trois modèles (par exemple l’exclusion de la Yougoslavie du Kominform en 1948).

Le XXe congrès, en s’attaquant au «culte de la personnalité» de Staline qui cimentait l’identité idélogique de tous les partis communistes, brisa involontairement un des piliers du monocentrisme et ouvrit une brèche dans sa cohésion interne: dès ce moment se déclenche un processus de désintégration du monocentrisme, de crise permanente au sein du mouvement communiste international. Cette crise éclatera dans le lieu privilégié du système monocentriste — les pays socialistes —, car c’est dans cet espace qu’avait été implanté dans sa totalité le modèle soviétique, et que la discontinuité avec le passé historique de ces pays avait été le plus incisive. Dans les pays socialistes, la critique du «culte de la personnalité», aussi limitée soit-elle, va remettre en cause le modèle idéologique et ses différentes articulations (culture, information, langage, histoire, etc.), le modèle économique et le fonctionnement du parti et de l’État. À travers ces crises violentes et ouvertes (Pologne; Hongrie, 1956) ou latentes et saccadées (Roumanie; Tchécoslovaquie, 1968), les pays socialistes se trouveront devant la nécessité de réviser leurs politiques intérieures et d’établir un autre genre de rapports avec l’Union soviétique. La désintégration du système monocentriste et la naissance d’un système polycentriste (Chine; différents types de révolution: Cuba, Vietnam, etc.), la reconnaissance théorique par le P.C.U.S. d’éventuelles «voies nationales» vers le socialisme vont provoquer la remontée des nationalismes dans les pays socialistes et manifester la volonté d’une politique extérieure plus indépendante (Roumanie), prenant moins en considération la sauvegarde prioritaire des intérêts de l’U.R.S.S. en tant que premier État socialiste du monde. En Europe de l’Est, l’ordonnance des rapports avec l’U.R.S.S. sera déterminée par le degré d’écartement à l’égard du modèle soviétique, et par le degré d’intensité des contradictions internes et inhérentes à ce modèle que supporte le corps social de ces pays.

Les partis communistes dans les pays capitalistes absorbèrent sans difficultés majeures les conflits internes qui surgirent après le XXe congrès et les événements de Pologne et de Hongrie (1956): n’ayant pas eu à assumer la totalité de leur société, ils n’avaient, à l’exception de quelques réajustements idéologiques plus conformes au nouveau cours inauguré par le XXe congrès, aucune révision apparente à faire. Cependant, sous cette immobilité de surface, des mutations s’opérèrent (liberté culturelle et scientifique pour les intellectuels communistes, recherche d’une voie vers le socialisme mieux adaptée aux réalités nationales, etc.). De plus, les retombées du XXe congrès se font sentir à la périphérie des partis communistes par la naissance et la structuration progressive d’une extrême gauche en opposition fondamentale avec le modèle soviétique — cette structuration s’accélèrera au rythme de la désintégration du monocentrisme —, et par la formation d’autres centres politico-idéologiques (Chine, Cuba, foyers révolutionnaires dans le Tiers Monde). Pour les partis communistes des pays capitalistes, l’ordonnance des rapports avec l’U.R.S.S. sera déterminée par le degré d’indépendance vis-à-vis de l’U.R.S.S. et du modèle soviétique et par le degré de perméabilité aux réalités nationales (voies particulières vers le socialisme).

Tant pour les partis communistes au pouvoir que pour ceux des pays capitalistes, une dimension conflictuelle intervient dorénavant dans leurs rapports avec l’Union soviétique. Des critiques modérées aux scissions et ruptures, du maintien dogmatique du modèle soviétique à la recherche d’un socialisme original, l’oscillation des conflits apparents ou cachés sera une des constantes de la nouvelle ordonnance des rapports au sein du monde communiste. L’intensité des conflits dépendra en outre du degré de polarisation des problèmes régionaux ou locaux que devront assumer les partis communistes en contradiction avec les intérêts de l’U.R.S.S.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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